Paranormal

Le moulin au diable d’Ambazac

 » Mais, malheureux , c’est au Diable lui-même que tu vas donner ta fille ! « 

Il y avait , autrefois , tout près d’Ambazac, un joli moulin dont le meunier était aussi riche qu’ambitieux. Il rêvait de faire de sa fille unique , fort gentille, d’ailleurs , pour une petite paysanne des bords du Beuvret, une grande dame qui possèderait un beau château et roulerait carrosse , ni plus ni moins qu’une reine. Et comme ce meunier unissait à ses autres qualités ou défauts une forte dose d’originalité, il s’était mis dans la tête – et il avait la tête dure- que son gendre devrait avoir des dents en or.

C’est donc en vain que les prétendants se présentaient en foule au moulin : ils étaient tous éconduits par l ‘étrange meunier qui s’obstinait dans ses exigences. La malheureuse se demandait déjà , non sans inquiétude, si elle ne serait pas condamnée, par suite de l’originalité paternelle, à rester vieille fille, quoiqu’elle ne se sentit pas le moindre attrait pour cette vocation. Or , voici que par un beau matin de juin, où les oiseaux lançaient leurs plus joyeuses chansons dans l’air tout parfumé des senteur du foin coupé, un jeune homme fort élégant se présenta à la porte du moulinet , sans perdre de temps , après les salutations d’usage, demanda au meunier la main de sa fille.

 » Vous connaissez, lui dit celui ci, les conditions exigées pour devenir mon gendre.Il faut être très fort…

  • Je le suis autant et plus que tout autre. – Et avoir des dents en or… « 

Le meunier n’avait pas fini de parler que le jeune homme avait ouvert la bouche pour lui montrer une double rangée de dents étincelantes. Séance tenante et sans même prendre l’avis de la jeune fille, le marché fut conclu.

  •  » Et maintenant que j’ai vu vos dents , reprit le meunier , vous allez me montrer votre force, et pour cela , il faut que demain matin , avant le chant du coq, vous ayez amené juste au dessus de la roue de mon moulin le ruisseau qui coule là -bas, derrière ces rochers , et dont je n’ai que le trop-plein.

– » Beau -père , s’écria le jeune homme , vous serez obéi. « 

Et il disparut pendant que le meunier courait conter à ses voisins qu’il avait enfin trouvé le gendre depuis si longtemps rêvé. Mais les braves gens du village n’eurent pas de peine à comprendre que cela n’était pas naturel et ils n’eurent qu’une voix pour crier au meunier :

 » Mais, malheureux , c’est au Diable lui-même que tu vas donner ta fille ! « 

On ne tarda pas longtemps à en avoir la preuve ; au douzième coup de minuit , dans le petit vallon d’ordinaire si tranquille où coule le Beuvret, un bruit formidable s’éleva soudain., pareil au mugissement des vagues de la mer soulevée par la tempête, pendant que du milieu des rochers de la rive partaient de sinistres craquements.

On eût dit que la terre allait s’entrouvrir et livrer passage aux flammes de l’enfer.C’étaient les eaux du Beuvret qui, poussées par le souffle impétueux du démon , couraient droit au moulin à travers les rochers et les broussailles. Le meunier , plus mort que vif , maudissait déjà son odieux marché ; mais il ne savait où donner de la tête. Tout le village était sur pied et, pendant qu’on se demandait avec angoisse ce qui allait arriver, quelqu’un cria qu’il fallait faire perdre au Diable son pari.  » Sans doute , balbutia le meunier , mais comment m’y prendre ? »

– » Monte vite dans le poulailler , reprit l’autre , et réveille les poules pour que le coq chante avant que le Diable ait fini. « 

Sitôt dit , sitôt fait, et à peine le coq eut-il chanté que le Diable, furieux de n’avoir pu réussir dans son entreprise, s’enfuit en grinçant des dents. Cependant , les eaux du Beuvret , que ne poussait plus le souffle de l’enfer , reprirent aussitôt leur cours naturel. Et c’est depuis ce temps que l’on peut voir, un peu au dessus du Moulin du Diable , un coude brusque formé par le ruisseau au point précis où le Diable fut surpris par le chant du coq.