Paranormal

Les victimes de possession se retrouvent presque sur un pied d’égalité avec les êtres qui les tourmentent !?

Des croyances et des pratiques coutumières peuvent-elles avoir des vertus émancipatrices, voire constituer une forme de « résistance culturelle » ?

C’est la thèse développée par Mohammed Maarouf, professeur à l’université Chouaib Doukkali et l’ethnographe Paul Willis dans un article passionnant mais controversé.

Les rituels maraboutiques de transe et d’exorcisme des djinns, toujours très vivaces au Maroc, sont considérés avec suspicion par les tenants de I’Islam traditionnel rappellent Chouaib Doukkali et Paul Willis sur le site www.moroccoworldnews.com . Même les universitaires peinent à démêler les bases épistémologiques de ces rites qu’ils jugent « plus proches de la mystification que du mysticisme » pratiquées par de de nombreux sanctuaires saints à travers tout le pays.

Pourtant, écrivent Chouaib Doukkali et Paul Willis, « nous soutenons que cette culture de la possession et du maraboutisme jette une lumière vive sur les sentiments de nombreux Marocains à l’égard de l’ordre politique et économique. Les rituels de possession et les danses de transe peuvent être vues comme des formes de résistance culturelle à la domination. »

Les victimes de possession se retrouvent presque sur un pied d’égalité avec les êtres qui les tourmentent

Le point de vue de ces universitaires va à l’encontre de l’opinion bien ancrée selon laquelle ces pratiques magiques, pour ne pas dire charlatanesques, contribuent à maintenir la population dans l’obscurantisme et la résignation.

Au contraire, d’après les auteurs, les victimes de possession se retrouvent dans une certaine mesure sur un pied d’égalité avec les êtres qui les tourmentent, djinns, fantômes, ancêtres en colère… Il est possible de les combattre et de négocier avec eux contrairement aux forces abstraites économiques et politiques qui régissent la vie des plus pauvres. Les différentes entités qui tourmentent les possédés sont souvent inspirés de personnages réels comme la terrible Aïsha Kandisha, dérivé d’une guerrière semi-légendaire qui aurait combattu la colonisation portugaise au XVIe siècle. Elle usait de ses charmes pour attirer ses ennemis dans des traquenards où ils étaient horriblement massacrés. Citons aussi le cruel Sultan Noir, Abu l-Hasan l-Marini, figure archétypale de l’oppression.

« Dans la mythologie marocaine, expliquent Chouaib Doukkali et Paul Willis, le monde des djinns reflète la société réelle. » Ces figures mythiques incarnent les forces historiques mais aussi actuelles du pouvoir tandis que les rituels d’exorcisme symbolisent la résistance du peuple.

Les soins spirituels apportés aux prétendus possédés relèveraient de la torture

Bien sûr, les résistances symboliques à la domination ne remettent pas concrètement en cause les relations réelles de pouvoir. Toutefois, elles offrent un espace où il est possible de s’exercer à une résistance aux différentes formes de domination qui pourrait devenir effective en cas de changement du contexte social. Mais chacun voit midi à sa porte puisque le gouvernement marocain et le roi lui-même ont encouragé ces croyances populaires au cours de la dernière décennie pour contrer l’influence de l’islamisme radical souligne l’AFP.

Pour séduisante intellectuellement qu’elle soit, la thèse de ces universitaires passe aussi sous silence des aspects beaucoup moins libérateurs des pratiques d’exorcisme. Ainsi, près de Marrakech, le mausolée de Bouya Oumar, puissant marabout du XVIe siècle, est l’un des plus célèbres sanctuaires de désenvoûtement. Malheureusement, les soins spirituels qui sont apportés aux prétendus possédés procèderaient de la torture selon certains témoignages. « Les malades sont affamés et battus dans des conditions dignes de Guantanamo » assure à l’AFP Mohammed Oubouli de l’Association marocaine des droits humains. Car, en l’absence chronique de structures adaptées, le mausolée fait aussi office d’hôpital pour des malades mentaux avérés et de centre de désintoxication musclé pour des toxicomanes. Pas sûr que ce mausolée soit un haut lieu de l’émancipation sociale…